La description au jour le jour des événements de la seconde guerre mondiale avec 67 ans de décalage
La Chambre éprouvera une douleur profonde en apprenant le sort de la grande nation française, à laquelle nous avons été si longtemps unis dans la guerre comme dans la paix, et que nous avions considérée comme la co-dépositaire de la culture libérale et de la tolérance en Europe. Reproches et récriminations seraient hors de saison ; nous espérons que vie et puissance nous seront données pour relever la France de la ruine et de l'esclavage où la force et la furie de l'ennemi l'ont plongée et d'autres causes encore ; et que l'Empire français, toujours protégé par la puissance navale, continuera la lutte aux côtés de ses alliés. Nous voulons croire que le siège du Gouvernement s'y transportera pour y poursuivre la lutte pour victoire en organisant des armées de libération.
C'est aux Français qu'il appartient de décider ; mais il nous est difficile de croire que les intérêts de la France et l'esprit français ne trouveront pas d'autre expression que les tristes décisions du Gouvernement de Bordeaux.
Nous soutiendrons donc de notre mieux, de notre bon vouloir et de nos ressources, tout mouvement déclenché par des Français qui échappant encore à l'ennemi, travailleraient à la défaite de la barbarie nazie et à la restauration de la liberté et de la France. Ce que seront nos relations avec le Gouvernement de Bordeaux, je ne puis vous le dire. Il s'est livré à l'ennemi et il reste totalement en son pouvoir. Les nouveaux dirigeants de la France
contribueront peut-être à rendre nos relations difficiles par la flatterie ou la rigueur, par la propagande ou le choix de ministres pro Allemands. Mous ne savons pas s'il nous sera loisible d'avoir un représentant dans la France diminuée qu'on appelle " la France non occupée " cernée qu'elle est et contrôlée par l'ennemi. Mais nous avons toujours confiance dans le vrai génie du peuple français, et dans le jugement qu'il portera sur les récents événements lorsqu'il connaîtra les faits. Nous ferons d'ailleurs tous nos efforts pour maintenir le contact à travers les barreaux de sa prison. En attendant, nous devons nous occuper de notre propre salut et de notre défense, dont dépendent non seulement notre propre sort, mais aussi celui de la France, de l'Europe et du monde.
La sécurité de la Grande-Bretagne et de l'Empire britannique est puissamment, mais non pas décisivement, affectée par le sort de la flotte française. Lorsqu'il devint clair que la défaite et la soumission de la France étaient imminentes, et que sa magnifique armée, qui nous avait inspiré tant d'espoirs, fléchissait sous le fléau allemand, M. Reynaud, le courageux Premier Ministre français, me demanda d'aller à Tours. J'y suis allé, le 13 juin, accompagné du Ministre des Affaires Étrangères, et de Lord Beaverbrook, Ministre de la Production Aéronautique. Je tiens à déclarer que certains comptes-rendus que le Gouvernement de Bordeaux a donnés de ces entretiens ne correspondent pas du tout à la réalité. Bien entendu, un des secrétaires du Cabinet, qui nous a accompagnés, a pris le procès-verbal de ces conversations. Je n'ai pas l'intention de les analyser en détail. Qu'il me suffise de dire qu'après m'avoir parlé de la situation au front et de l'état de l'armée française – dont j'étais au courant - M. Reynaud me demanda si la Grande-Bretagne pouvait consentir â libérer la France de son obligation de ne pas négocier un armistice ou une paix séparée sans le consentement de son Alliée britannique. Je connaissais toute l'étendue des souffrances de la France, je n'ignorais pas que jusqu'alors nous n'avions pas subi d'épreuves comparables et que notre apport sur le champ de bataille n'avait pas été égal à celui de la France. Néanmoins je me vis dans l'obligation de déclarer que nous ne pouvions pas donner notre consentement.
Je fis savoir à M. Reynaud qu'il était inutile d'ajourer par des reproches mutuels aux nouvelles misères que nous réservait sans doute l'avenir, mais que je ne pouvais donner mon consentement. Nous nous mîmes d'accord pour lancer un nouvel appel au Président Roosevelt. Si la réponse ne suffisait pas à M. Reynaud pour continuer la lutte - après tout, M. Reynaud représente sans aucun doute l'esprit de résistance - alors nous devions nous rencontrer à nouveau pour prendre les décisions qui s'imposeraient â la lumière des nouvelles circonstances.
Le 16, je reçus un message de M. Reynaud, qui avait établi son gouvernement à Bordeaux, m'annonçant que la réponse américaine n'était pas satisfaisante, et me demandant à nouveau de libérer la France des obligations que lui imposait l'accord franco-anglais. Je convoquai immédiatement le Cabinet et nous arrêtâmes de concert un message à M. Reynaud, dont je ne donne pas le texte exact, mais dont voici la substance : des négociations séparées, en vue d'un armistice ou de la paix, ne peuvent dépendre que d'un accord conclu par la Grande-Bretagne avec la République Française, et non avec un homme d'état français quel qu'il soit. Elles engagent donc l'honneur de la France. Toutefois, étant donné tout ce que le peuple français a souffert, étant donné les forces qui de toute évidence agissent sur lui, et pourvu que la flotte française soit envoyée dans des ports britanniques pour y demeurer tant que dureront les négociations, le Gouvernement de Sa Majesté donne son consentement à ce que le Gouvernement français fasse des démarches en vue d'apprendre quelles conditions d'armistice pourraient, lui être consenties. Nous terminâmes en déclarant que le Gouvernement de Sa Majesté était résolu à continuer la guerre sans l'aide de la France et qu'il se désassociait formellement de toutes négociations visant à un armistice.
Ce même soir du 16, tandis que je me préparais à aller rencontrer M. Reynaud sur son invitation (j'étais même dans le train), je reçus la nouvelle qu'il avait démissionné, et qu'un nouveau gouvernement avait été formé, sous la présidence du maréchal Pétain - gouvernement dont la première tâche serait de rechercher un armistice avec l'Allemagne. Dans ces conditions, nous fîmes, bien entendu, tout ce qui était en notre pouvoir pour mettre la flotte française en sûreté. Nous rappelâmes au nouveau gouvernement que la condition que nous jugions indispensable à notre consentement, à savoir l'envoi de la flotte dans un port britannique, n'avait pas été remplie... Or ce n'est pas le temps qui manquait pour prendre cette précaution, qui n'eût en aucune façon influé sur les négociations. Car les clauses de l'armistice n'auraient guère pu être plus sévères qu'elles ne l'ont été.
Afin de renforcer la force de nos convictions nous envoyâmes le Premier Lord de la Mer et le Premier Lord de l'Amirauté, ainsi que Lord Lloyd, pour établir si possible contact avec les nouveaux Ministres. Naturellement, à ce moment, tout était en train de s'écrouler, mais de nombreuses assurances solennelles nous furent données qu'on ne permettrait jamais que la flotte tombât aux mains des Allemands. Ce fut donc " avec douleur et stupeur " - pour reprendre les mots de la déclaration gouvernementale de dimanche - que j'ai lu l'article 8 des conditions de l'armistice.
Cet article, que le Gouvernement français a accepté, stipule que la flotte française, à l'exception de certaines unités destinées à la sauvegarde des intérêts français dans l'Empire colonial, sera réunie dans des ports qui seront spécifiés pour y être démobilisée et désarmée sous contrôle allemand ou italien. De ce texte, il ressort clairement que par cet armistice, les vaisseaux de guerre français passent tout armés sous le contrôle allemand et italien. Bien entendu, nous prenons note de la déclaration solennelle du Gouvernement allemand qui figure dans le même article, selon laquelle il n'a pas l'intention d'employer ces navires pendant la guerre. Que vaut-elle ? Demandons à une demi-douzaine de pays quelle est la valeur d'une telle assurance solennelle. De plus, le même article exclut de l'application de ces assurances et de ces déclarations solennelles les unités nécessaires à la surveillance des côtes et au draguage des mines. Sous cette clause, il serait possible au Gouvernement allemand d'affecter toutes les unités de la flotte française à la surveillance côtière. Finalement, sous n'importe quel prétexte de non observation, l'armistice peut être annulé à tout moment, les conditions de l'armistice autorisent explicitement les Allemands à formuler de nouvelles demandes lorsque le moment sera venu d'une paix éventuelle entre la France et l'Allemagne. Voilà un très bref résumé des points saillants de cet épisode .mémorable et lamentable dont l'histoire donnera sans doute une analyse beaucoup plus détaillée.
La Chambre ne s'attend certes pas à ce que je parle de l'avenir. La situation est à l'heure actuelle si incertaine et si obscure qu'il serait contraire à l'intérêt public que je me prononce ou spécule à ce sujet. Mais il est possible que j'aie du nouveau â annoncer, si la Chambre me permet de lui faire une déclaration plus détaillée la semaine prochaine. En attendant, j'espère que la Chambre continuera à avoir pleine confiance dans le Gouvernement de Sa Majesté, et saura que nous ne manquerons ni de patience ni de résolution pour prendre les mesures indispensables au salut de l'Empire.