La description au jour le jour des événements de la seconde guerre mondiale avec 67 ans de décalage
Ouvriers, Techniciens, Patrons français,
Dans mon message du 10 octobre dernier, je vous ai dit que l'on ne peut faire disparaître la lutte des classes, fatales à la Nation, qu'en faisant disparaître les causes qui ont dressé ces classes les unes contre les autres.
Ces causes, c'est la menace du chômage, c'est l'angoisse de la misère qu'elle fait peser sur vos foyers. C'est le travail sans joie de l'ouvrier sans métier. C'est le taudis dans la cité laide, où il passe les hivers sans lumière et sans feu. C'est la vie de nomade, sans terre, sans toit.
Telle est la condition prolétarienne. Il n'y aura pas de paix sociale tant que durera cette injustice.
En ce qui concerne l'organisation professionnelle, un texte de loi si parfait qu'il soit est impuissant à accomplir une réforme de cette ampleur. La loi ne saurait créer l'ordre social ; elle ne peut que le sanctionner dans une institution après que les hommes l'ont établi. Le rôle de l'État doit se borner ici à donner à l'action sociale son impulsion, à indiquer les principes et le sens de cette action, à stimuler et orienter les initiatives.
En réalité, les causes de la lutte des classes ne pourront être supprimées que si le prolétaire qui vit aujourd'hui, accablé par son isolement, retrouve dans une communauté de travail, les conditions d'une vie digne et libre, en même temps que des raisons de vivre et d'espérer.
Cette communauté, c'est l'entreprise. Sa transformation peut, seule, fournir la base de la profession organisée, qui est elle-même une communauté de communautés.
Cela exige qu'une élite d'hommes se donnent à cette mission.
Ces hommes existent parmi les patrons, les ingénieurs, les ouvriers. C'est à eux d'abord que je fais appel. Je leur demande :
1° - De se pénétrer de la doctrine du bien commun au-dessus des intérêts particuliers, de s'instruire des méthodes d'organisation du travail capables de permettre à la fois un meilleur rendement et plus de justice, en donnant à chacun sa chance dans l'entreprise et dans la profession ;
2° - De s'informer des réalisations sociales qui existent déjà et que des hommes clairvoyants et généreux ont su accomplir, en dépit des difficultés de tous ordres qui, dans le passé, entravaient leurs efforts.
Ainsi, peu à peu, et par l'action de tous, une œuvre définitive s'accomplira sous l'autorité et avec l'encouragement de l'État.
Pour entreprendre cette œuvre fondamentale qui sera la vôtre, une large enquête sera faite, à laquelle prendront part tous ceux qui veulent se dévouer à la grande cause de la paix sociale dans la justice.
Tous les travailleurs, qu'ils soient patrons, techniciens, ouvriers, sont aux prises chaque jour avec des difficultés nouvelles, conséquences de la situation présente de notre pays.
Il est donc urgent qu'ils aient la possibilité de défendre leurs intérêts légitimes, d'exprimer leurs besoins et leurs aspirations.
Il est indispensable de créer des organismes qui puissent résoudre vite les questions posées ou, s'ils ne peuvent les résoudre eux-mêmes, donner à l'État des moyens de le faire, sans que ses décisions soient paralysées par une connaissance insuffisante des problèmes ou par une organisation administrative trop lente à se mouvoir.
Tel devra être l'objet d'une première loi sur l'organisation professionnelle. Cette loi créera des organismes simples, qui ne seront pas des organisations de classes, mais des comités sociaux où, patrons, techniciens, et ouvriers rechercheront ensemble les solutions des problèmes actuels dans une commune volonté de justice, dans le souci constant d'apaiser par l'entraide les misères et les angoisses de l'heure.
Travailleurs français, je vous demande d'entendre mon appel. Sans votre adhésion enthousiaste à l'oeuvre de reconstruction sociale, rien de grand ne peut être fait. Sachez vous y donner avec un désintéressement total.
Ouvriers, mes amis, n'écoutez plus les démagogues. Ils vous ont fait trop de mal. Ils vous ont nourris d'illusions. Ils vous ont tout promis. Souvenez-vous de leur formule : « Le pain, la paix, la liberté. » Nous avez eu la misère, la guerre, et la défaite.
Pendant des années, ils ont injurié et affaibli la Patrie, exaspéré les haines ; mais ils n'ont rien fait d'efficace pour améliorer la condition des travailleurs, parce que, vivant de leur révolte, ils avaient intérêt à encourager ses causes.
Ingénieurs, vous avez pensé trop souvent qu'il vous suffisait de remplir avec conscience votre fonction technique. Vous avez plus à faire, car vous n'êtes pas seulement des techniciens, vous êtes des chefs.
Comprenez bien le sens et la grandeur du nom de chef.
Le chef, c'est celui qui sait à la fois se faire obéir et se faire aimer. Ce n'est pas celui qu'on impose, mais celui qui s'impose.
N’oubliez pas que pour commander aux hommes il faut savoir se donner.
Patrons, parmi vous beaucoup ont une part de responsabilité dans la lutte des classes. Votre égoïsme et votre incompréhension de la condition prolétarienne ont été trop souvent les meilleurs auxiliaires du communisme. Je ne vous demande pas de renoncer à tirer de vos entreprises le bénéfice légitime de vos activités, mais je vous demande d'être les premiers à comprendre vos devoirs d'hommes et de Français.
Ouvriers, techniciens, patrons, si nous sommes aujourd'hui confondus dans le malheur, c'est qu'hier vous avez été assez fou pour vous montrer le poing.
Cherchez, au contraire, à mieux vous connaître. Vous vous en estimerez davantage, vous aurez confiance les uns dans les autres, vous résoudrez ensemble le grand problème du travail et de l'ordre social.
Renoncez à la haine, car elle ne crée rien ; on ne construit que dans l'amour et dans la joie.
En faisant de la France une société humaine, stable, pacifiée, vous serez les meilleurs artisans du redressement de la Patrie.